04/09/2018
Loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des secrets d'affaires : travailleurs, prenez garde !?
Droit social, droit du travail

1.- Le 24 août dernier est entrée en vigueur la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des secrets d'affaires.
Cette loi transpose en droit belge la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.
Pour rappel, cette directive avait été adoptée dans le même temps que les révélations de type « Luxleaks ». Ce timing avait fait dire à certains que « l’Europe » cherchait par ce biais à « museler » les éventuels futurs lanceurs d’alertes envisageant de « sonner le tocsin » pour ce genre de problématiques … soit.
2.- La nouvelle loi est importante en droit du travail car elle modifie (dans ces dernières dispositions) le « bon vieux » article 17, 3° de la loi relative aux contrats de travail du 3 juillet 1978.
Cet article fort utilisé en pratique, n’avait - sauf erreur - pas été revu depuis 1978 et disposait que le travailleur a l'obligation :
«3° de s'abstenir, tant au cours du contrat qu'après la cessation de celui-ci :
a) de divulguer les secrets de fabrication, ou d'affaires, ainsi que le secret de toute affaire à caractère personnel ou confidentiel dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de son activité professionnelle;
b) de se livrer ou de coopérer à tout acte de concurrence déloyale ».
Cet article est utile à chaque employeur car il s’applique quoi que contienne le contrat de travail en matière de confidentialité / (non)-concurrence. Son ancienne version appelait toutefois notamment les problématiques suivantes :
Ø Que fallait-il entendre par secret de fabrication ou d’affaires, terme non défini par la loi de 1978 ? A cette question, la jurisprudence donnait généralement la définition ci-après : « un fait technique qui, contribuant à la réalisation des opérations mises en œuvre dans une fabrique pour obtenir un produit déterminé, est de nature à procurer au fabricant des avantages techniques et à lui assurer sur ses concurrents une supériorité de nature telle qu'il y a pour lui un avantage économique à ce qu'il ne soit pas connu de ses concurrents » ;
Ø Les clauses contractuelles « complétant » de manière stricte cet article 17,3° avaient déjà été jugées nulles par les cours et tribunaux, et ce en application de l’article 6 de la loi relative aux contrats de travail prévoyant que « toute stipulation contraire aux dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution est nulle pour autant qu'elle vise à restreindre les droits des travailleurs ou à aggraver leurs obligations ».
3.- Depuis le 24 août dernier, la nouvelle mouture de cet article 17,3° est cependant la suivante (les éléments en gras sont les nouveautés):
« le travailleur a l’obligation :
3° de s'abstenir, tant au cours du contrat qu'après la cessation de celui-ci:
a) d'obtenir, d'utiliser ou de divulguer de manière illicite, au sens de l'article XI.332/4 du Code de droit économique, un secret d'affaires au sens de l'article I.17/1, 1°, du même Code, dont il peut avoir connaissance dans l'exercice de son activité professionnelle, ainsi que de divulguer le secret de toute affaire à caractère personnel ou confidentiel dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de son activité professionnelle;
b) de se livrer ou de coopérer à tout acte de concurrence déloyale»
Il est donc fait référence à la notion de « secret d’affaire » au sens du Code de droit économique, à savoir « une information qui répond à toutes les conditions suivantes :
a) elle est secrète en ce sens que, dans sa globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, elle n'est pas généralement connue des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'information en question, ou ne leur est pas aisément accessible;
b) elle a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète ;
c) elle a fait l'objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à la garder secrète »
Par ailleurs, ce qui est dorénavant interdit aux travailleurs est « d’obtenir, d’utiliser ou de divulguer de manière illicite » un tel secret d’affaire. Ces interdictions sont en outre détaillées comme suit par le Code de droit économique (article XI.332/4 du CDE):
« § 1er. L'obtention d'un secret d'affaires sans le consentement du détenteur du secret d'affaires est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée par le biais:
1. d'un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique ou d'une appropriation ou copie non autorisée de ces éléments, que le détenteur du secret d'affaires contrôle de façon licite et qui contiennent ledit secret d'affaires ou dont ledit secret d'affaires peut être déduit;
2. de tout autre comportement qui, eu égard aux circonstances, est considéré comme contraire aux usages honnêtes en matière commerciale.
§ 2. L'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est considérée comme illicite lorsqu'elle est réalisée, sans le consentement du détenteur du secret d'affaires, par une personne dont il est constaté qu'elle répond à l'une ou l'autre des conditions suivantes:
1. elle a obtenu le secret d'affaires de façon illicite;
2. elle agit en violation d'un accord de confidentialité ou de toute autre obligation de ne pas divulguer le secret d'affaires;
3. elle agit en violation d'une obligation contractuelle ou de toute autre obligation limitant l'utilisation du secret d'affaires.
§ 3. L'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation du secret d'affaires, une personne savait ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir que ledit secret d'affaires avait été obtenu directement ou indirectement d'une autre personne qui l'utilisait ou le divulguait de façon illicite au sens du paragraphe 2 ».
4.- Alors que retenir ?
Tout d’abord, d’une disposition légale assez courte et dont l’application par les cours et tribunaux était finalement « de bon sens », on est arrivé à une disposition « à tiroirs » qui ne gagne pas en lisibilité. Le souci d’harmonisation au niveau européen est passé par là.
Sur le fond, les interdictions à charge des travailleurs ont été clairement étendues.
N’est en effet plus visée la seule divulgation du secret de fabrication / affaires mais également notamment son obtention laquelle est dès lors sanctionnable sans divulgation (on pense notamment à des fichiers sauvés sur un ordinateur par un travailleur par exemple).
Par ailleurs, une utilisation / divulgation est notamment considérée comme illicite lorsqu’effectuée en violation d’un accord de confidentialité ou d’une obligation contractuelle. Est-ce là une « porte » légale suffisante afin de valider les clauses contractuelles très strictes en la matière qui auparavant avaient été considérées comme nulles en vertu de l’article 6 de la loi relative aux contrats de travail visé ci-avant ? Nous verrons la jurisprudence à ce propos.
Cependant, et peut-être de manière plus importante, la notion de « secret d’affaires » au sens légal actuel parait moins étendue que celle de « secret de fabrication » retenue auparavant par les cours et tribunaux.
En effet, pour être protégée en tant que « secret d’affaires » une « information » doit remplir « toutes » les trois conditions fixées par les dispositions légales en la matière (notamment celle relative aux mesures raisonnables prises par l’employeur pour garder cette information secrète).
Une telle notion « fermée » va certainement limiter le nombre « d’informations » susceptibles d’être protégées par la nouvelle loi, alors qu’elles auraient pu l’être sous l’empire de l’ancienne disposition.
Dès lors, pourquoi mettre des barrières plus hautes s’il y a moins à protéger ? La tendance actuelle sans doute …