11/11/2021
Réflexions sur l’indépendance et l’impartialité de l’expert médical
Droit de la responsabilité, droit des assurances, responsabilités professionnelles
« Du droit des faibles naît le devoir des forts » (V. Hugo)
La protection des plus démunis a toujours été organisée par les codes, plus ou moins complètement : par exemple, on interprète un contrat contre celui qui tient la plume ; on protège le mineur ; on est plus sévère pour l’homme de l’art, etc.
Or, tout praticien en matière de dommage corporel doit constater que le régime de l'expertise est parfois laissé sans réel garde-fou. Il existe, bien sûr, des garanties organisées par le Code judiciaire mais le législateur a longtemps craint d'aborder certaines questions tout autant fondamentales, dont celle d’une liste d’experts, celle touchant à leur impartialité ou celle relative à leur titre.
Si la loi du 10 avril 2014, modifiée par une loi du 19 avril 2017, a établi un nouveau registre national pour les experts judiciaire, force est de constater dans la pratique que, d’une part, les critères retenus pour y figurer ont bien plus trait à la qualité de formation et aux compétences des experts qu’à la garantie d’impartialité de l’expertise.
Or, si l’on peut concevoir qu’un expert automobile ou un expert immobilier doive répondre à des critères unifiés de formation ou de compétence, la question se pose du choix par le législateur de tels critères lorsqu’il s’agit d’un médecin, dont la formation et la compétence sont censées être d’égale qualité dans tout le pays.
Ce n’est d’ailleurs que rarement que la compétence du médecin expert est remise en cause. Là n’est pas, sauf évidence, la marge de manœuvre de l’avocat.
L’avocat en dommage corporel veille au respect des droits de la victime d’être assistée par son médecin-conseil, d’adresser des remarques et avis à l’expert, ou encore de pouvoir porter une réclamation devant le tribunal si un incident survient en cours d’expertise et qui pourrait la léser.
L’avocat pointe également les lacunes d’une expertise qui violerait les droits de son client (un expert qui ne répondrait pas dans son rapport à la note de fait directoire du médecin-conseil de la victime par exemple) ; il n’apprécie pas, pas plus d’ailleurs que le juge, la qualité scientifique du travail du médecin dans son œuvre expertale.
L’avocat a donc pour lui la science juridique, pas la science médicale. Les textes qui garantissent les droits de la victime dans l’expertise existent. De la même manière, la qualité de la formation et la compétence des médecins d’expertise répond déjà à de hautes exigences, ce qui est évidemment profitable pour la victime qui se présente devant celui dont les compétences détermineront in fine grandement le montant de son indemnisation.
Bien plus problématiques dans la pratique sont un certain nombre de situations qui interrogent pour la victime :
- sur la transparence et la compréhension de la procédure d’expertise quand l’usage impropre du titre d’expert crée d’inévitables confusions et parfois débordements;
- quand l’on voit — et c’est trop souvent le cas — un médecin-conseil d’assurance désigné comme expert judiciaire alors que ce médecin-conseil développe la majeure – sinon exclusive – partie de son activité économique avec ces sociétés d'assurances;
Dès lors, l’on peut réellement s’interroger sur la plus-value de la loi de 2014 pour les victimes de dommages corporels quand il ne s’agissait pas de faire des médecins – déjà largement compétents – des « super médecins », mais plutôt des experts indépendants et impartiaux conscients des enjeux pour (l’indemnisation de la) victime de leurs liens avec les assureurs : n’aurait-il pas été utile de fixer, au-delà de critères de qualité déjà présents dans la pratique, de vrais mécanismes de contraintes garantissant des expertises impartiales ?
En attendant de voir le législateur prendre le problème à bras le corps, sans doute l’avocat ne doit-il pas hésiter, à chaque fois que les circonstances l’appellent, à demander la récusation d’un expert qui manque à son devoir d’indépendance et d’impartialité.
Ce même avocat, quand il passe la toge pour défendre des victimes de dommages corporels, doit pouvoir induire systématiquement les magistrats, sur base de leur droit à surveiller les expertises et de leur impartialité, à faire œuvre de vigilance en rédigeant dans la mission qu’ils confient à un expert une demande libellée comme suit : « que l’expert désigné, avant l’acceptation de sa mission, écrira au Tribunal et aux parties s’il preste, ou non, pour une ou des sociétés d’assurances et, dans l’affirmative, lesquelles ; »
Ainsi, à tout le moins, les parties seront-elles informées de la place de chacun dans le débat judiciaire et pourront, au besoin, réagir judiciairement en connaissance de cause.