18/04/2019
Discrimination sur base de l’état de santé : précisions de la Cour du travail de Bruxelles
Droit social, droit du travail

1.
La Cour du travail de Bruxelles a tout récemment rendu un arrêt[1][2] dans une matière jamais facile à appréhender, celle la discrimination, et plus particulièrement la discrimination sur base de l’état de santé.
Cet arrêt effectue des précisions utiles pour les praticiens sur la notion du critère protégé relatif à l’« état de santé actuel ou futur » ainsi que sur la charge de la preuve qui est partagée en la matière.
2.
Sans entrer dans le détail, les faits soumis à la Cour concernaient un licenciement intervenu durant une période d’incapacité de travail, licenciement qui se référait à cette incapacité de travail. Il était dès lors soutenu que ce licenciement constituait traitement moins favorable sur base d’un critère protégé par la loi de mai 2007, à savoir « l’état de santé actuel ou futur », et donc une discrimination prohibée.
L’employeur estimait que le licenciement était fondé sur une désorganisation du service induite par les absences du travailleur.
Le premier juge avait rejeté la discrimination en estimant que le travailleur ne démontrait ni un référent (comme invite à le faire la loi de 2007 « anti-discrimination ») et n’invoquait pas la situation d’un autre travailleur se trouvant dans une situation comparable et qui n’aurait pas été traité de manière aussi « favorable ».
En degré d’appel, l’auditeur avait également conclu à l’absence de discrimination, en invoquant, dans son avis écrit, que le critère d’« état de santé actuel ou futur » ne visait – pour résumer – que les tests génétiques ou les tests médicaux prévisionnels et ne protégeait pas les licenciements fondés sur les incapacités de travail d’un travailleur.
3.
La Cour du travail n’a toutefois suivi aucune de ces trois positions.
Elle a tout d’abord considèré que le critère de l’« état de santé actuel ou futur » ne doit pas être limité comme le suggérait l’auditeur mais « comporte tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment ».
La Cour a en outre rappelé – il le faut parfois et cela a son importance en la matière – que la rupture du contrat est à l’ « évidence un traitement défavorable ».
Finalement, et de manière plus fondamentale selon nous, la Cour a estimé – comme l’auditeur du travail intervenu en première instance - qu’il n’est pas nécessaire à la victime d’une discrimination d’identifier un référent ou un travailleur se trouvant dans une situation comparable.
Elle a ensuite précisé qu’au vu du motif du licenciement mentionnant l’incapacité de travail du travailleur, il suffit de mettre en évidence qu’une personne qui n’aurait pas été en incapacité de travail n’aurait - de fait - pas été licencié. Elle n’aurait dès lors pas subi ce traitement défavorable que constitue, « à l’évidence » selon la Cour, un licenciement.
Les faits faisant présumer l’existence d’une discrimination sur base d’un critère protégé étant établis, l’employeur devait dès lors – comme le prévoit le système de charge de la preuve partagée en la matière - prouver l’absence de discrimination, ce à quoi il a échoué en l’espèce (la désorganisation invoquée n’était, entre autres, pas démontrée).
4.
Cet arrêt précise selon nous deux éléments importants en matière de discrimination sur base de l’état de santé ou actuel :
· C’est au moment de la prise de décision qu’il faut examiner si elle serait fondée sur l’état de santé du travailleur à cet instant ou sur l’état de santé du travailleur futur[3] par rapport à celui-ci ;
· Un licenciement fondé sur l’incapacité de travail d’un travailleur est en soit un fait faisant présumer de l’existence d’une discrimination, sans qu’il soit nécessaire à la victime de se référer à d’autres travailleurs se trouvant dans une situation « comparable ».
Ce qui précède peut paraître « de bons sens » ou « évident », mais (malheureusement[4]) les textes de nos législations ne permettent pas toujours une application sans équivoque[5].
En tout état de cause, de manière plus pratique, l’employeur souhaitant rompre le contrat de travail d’un collaborateur en incapacité de travail ou étant souvent en incapacité de travail devra être en mesure de justifier de manière objective la décision éventuelle qu’il s’apprête à prendre.
En conclusions, citons Henri Salvador pour qui le Travail c’est la Santé … actuelle et future rajoutera le praticien en droit du travail.
Pierre Degouis
Avocat au Barreau de Bruxelles
Spécialiste en Droit du travail
[1] L’auteur a représenté une des parties au litige.
[2] C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2019, R.G. 2016/AB/380. L’auteur précise qu’il représentait une partie au litige commenté.
[3] A ce propos, la Cour avait également précisé que la crainte d’incapacités futures relevait également du critère protégé de l’état de santé actuel ou futur.
[4] Ou pas, pour les conseillers juridiques.
[5] En l’espèce, sur base des mêmes faits - voir des mêmes pièces - et des mêmes textes, deux auditeurs et deux juges professionnels ont eu des conclusions et des raisonnements très opposés.