Elles sont parmi nous ! Les intelligences artificielles (IA) font actuellement la démonstration de leur efficacité dans différents domaines.
Que ce soit Sophia, un robot doté d’une personnalité qui s’est vu octroyer la citoyenneté par l’Arabie Saoudite[1] ou l’impressionnant AlphaGO capable de vaincre le champion du monde de Go et autodidacte[2], les IA démontrent leur efficacité et apparaissent déjà sur de nombreux marchés.
Plus spécifiquement au monde du droit, il convient de citer :
- ROSS, l’IA d’IBM est capable de compiler une somme considérable de documents juridiques pour en extraire les décisions clés. Le tout en un temps record (1milliard de documents traités par seconde).
- Une IA du nom de CaseCruncher Alpha qui s’est illustrée dans un concours juridique – digne de Deep Blue vs Kasparov – et l’opposant à 112 avocats londonien. l’IA a finalement remporté la bataille avec un taux d’exactitude de 86,3% contre 66,3% pour les avocats.
- La Belgique n’est d’ailleurs pas en reste puisque Lee&Ally, un chatbot juridique prodigue déjà ses conseils B2B chez nous. Le service en est peut-être à ses débuts mais d’impressionnantes avancées sont d’ores et déjà entrevues.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de contextualiser le débat. L’IA c’est quoi ?
L’IA est l’ensemble des théories et des techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine[3].
L’évolution actuelle de la technologie permet désormais aux machines dotées d’intelligence d’avoir un certain degré d’autonomie et donc d’accompagner directement l’homme dans la réalisation d’un nombre de tâches quotidiennes en pleine explosion.
Evidemment, l’importance que prend l’IA dans notre monde ne peut se faire sans un cadre juridique adéquat notamment car il convient de protéger ceux qui l’utilisent.
En l’absence d’un tel cadre, de nombreuses questions émergent des champs juridiques traditionnels : qu’est ce qui (ou qui) se trouve exactement derrière cette intelligence, comment le vérifier et protéger son contenu, que faire des données collectées par un robot et quel régime en cas de responsabilité ?
1. Régimes traditionnels et création
Techniquement, une IA est un ensemble d’algorithmes[4] relevant, selon le choix de l’exploitant, du domaine public (opensource) ou privé.
L’exploitant va chercher à protéger l’algorithme lui-même ou leur combinaison au titre de la protection et de la valorisation de l’innovation qu’il représente.
Dès lors l’octroi d’un titre de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevet, programme d’ordinateur) pourrait sembler une évidence mais seules les formules présentant une certaine mise en forme de l’algorithme, par des documents ou un logiciel (algorithme intégré au code source), ou comportant un certain degré d’originalité peuvent bénéficier d’une protection.
2. Protection des utilisateurs
A rebours de ces idées, les questions relatives à la transparence des traitements algorithmiques opérés constituent également un enjeu juridique majeur en vue du développement de l'IA.
En effet, la confiance dans l’IA est directement liée à la transparence et à la loyauté des traitements informatiques qui la sous-tendent.
Le sujet de la transparence est évidemment sensible puisque de nombreuses craintes existent quant à l’objectivité des algorithmes susceptibles de manipuler, de discriminer ou d’orienter la sélection des informations.
Ces craintes sont légitimes, un équilibre devra être préservé entre les exigences de transparence des algorithmes et les innovations qu’ils peuvent représenter.
3. Collecte des données
L'IA est généralement fondée sur un principe de « machine learning » (ou apprentissage statistique) s'appuyant sur le développement de programmes informatiques capables d'acquérir de nouvelles connaissances afin de s'améliorer et d'évoluer d'eux-mêmes dès qu’ils sont exposés à de nouvelles données[5].
Evidemment, celles-ci doivent être collectées ; ce qui n’est pas sans conséquence du point de vue de la nouvelle disposition européenne prochainement applicable : le règlement européen sur la protection de données personnelles (Rgpd).
Ce dernier imposera à l’avenir une information de l’utilisateur si le traitement de ses données aboutit à un profilage des individus[6].
Une fois la personne informée, elle sera en mesure d’exercer, ou non, son droit d’opposition.
4. Et la responsabilité de l’IA ?
Sur ce point, le droit actuel dispose à priori de suffisamment d’outils en vue d’engager la responsabilité éventuelle de l’IA lorsque l’application de son algorithme finit par causer un dommage.
Que ce soit sous l’empire de l’article 1382 (responsabilité extracontractuelle) ou de l’article 1146 (responsabilité contractuelle) ou encore 1384 (responsabilité du fait des choses) du Code civil, les outils juridiques classiques semblent satisfaisants dans l’état actuel de l’évolution des technologies.
Cela étant, en raison de l’impressionnant gain d’autonomie des machines actuelles, un courant visant à la création d’une personnalité juridique qui bénéficierait aux robots se dessine d’ores et déjà :
Dans sa résolution du 16 février 2017[7], le Parlement Européen demande à la Commission d’examiner : « la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers; »
A cet égard, l’exemple de la récente citoyenneté de Sophia est évidemment interpellant … Demain, les robots seront-ils des êtres juridiques à part entière disposant des caractéristiques leur permettant de revendiquer droits et obligations, des assurances et des comptes en banque ?
Entre science-fiction et droit, l’évolution de la société et des objets intelligents promet de soulever de nombreux questionnements intéressants.
Le scientifique et auteur des lois de la robotique, Isaac Asimov nous mettait déjà en garde à son époque… « L’aspect le plus triste de notre vie aujourd’hui est que la science acquière les connaissances plus vite que la société n’acquière la sagesse. ».
Il conviendra à nos législateurs de s’en rappeler !
Cynthia CHARLIER Jeoffrey VIGNERON
[4] Ensemble de règles opératoires dont l'application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d'un nombre fini d'opérations.
[6] Art 22 du RGPD